Journal d'écoute / Listening Diary
2010-09-27
Membre fondateur de Magma et de Zao, le saxophoniste Yochk’o Seffer a bâti une carrière solo vénérable, même si elle est restée en grande partie à l’abri des projecteurs. L’étiquette Musea s’affaire dernièrement autour de sa personne (parution d’un document d’Ethnic Duo et d’un documentaire sur Seffer). Voici rien de moins qu’un album triple, Condor, qui présente Seffer sous divers angles (y compris son art pictural dans le généreux livret). Disque 1: des duos plutôt free jazz (quoique qu’en partie écrits) avec le batteur Jean-Pascal Molina et résolument improvisés avec la contrebassiste Joëlle Léandre. Disque 2: travail d’écriture musicale dans un duo avec le saxo Sylvain Miller - ici Seffer est strictement au piano. Disque 3: une pièce à grand déploiement d’une demi-heure, “Trabla n° 12” pour trois saxos solistes (Seffer, Jean-Michel Goury et Laurent Matheron), steel-drums (François Causse) et ensemble de saxophones (Ensemble CRRBB); plus “Ima” (22 minutes) pour saxo et bande, en format vidéo. Évidemment, il reste peu de l’élan zeuhl de Zao ou Magma dans ces musiques, mais Seffer développe au fil de ces trois disques un style musical unique, entre la fougue de la “Fire Music” américaine et une exploration plus méticuleuse d’harmonies jazz explosées.
A founding member of Magma and Zao, saxman Yochk’o Seffer has built a noteworthy solo career, although it has remained mostly out of the limelight. The Musea label has been busy releasing more of his music (an archival document from Ethnic Duo and a French documentary). Here is a triple set entitled Condor featuring Seffer in various guises (including as a painter throughout the generous booklet). Disc 1: free jazz duos with drummer Jean-Pascal Molina and free improvisation duos with bassist Joëlle Léandre. Disc 2: his composition work with saxman Sylvain Miller - here Seffer plays piano throughout. Disc 3: a large-scale 30-minute work, “Trabla n° 12” for three solo saxes (Seffer, Jean-Michel Goury and Laurent Matheron), steel-drums (François Causse) and saxophone ensemble (Ensemble CRRBB); plus “Ima” (22 minutes) for sax and tape, as a bonus video file. There is little left of Magma or Zao’s zeuhl impetus in Seffer’s music, but the man develops throughout this set a unique music style that taps into American “Fire Music” and yet explores more meticulously exploded forms of jazz harmonies.
Un disque consacré aux compositions et au travail électroacoustique de Barton McLean, solo et au sein de McLean Mix, son duo avec sa conjointe. J’ai écouté ce disque, mais je l’ai peu remarqué. Pourquoi au juste? Je ne sais trop. C’est un peu convenu, ça manque de punch. Par contre, j’ai apprécié les jeux de field recordings et de superpositions d’instruments dans “Rainforest Images II”.
A record of acoustic and electroacoustic compositions by Barton McLean (solo and with McLean Mix, his duo with his wife). I listened to this record, but it didn’t register. Why, exactly? I’m not sure. It’s a little predictable, and it lacks some punch. However, I did appreciate the field recordings and instruments overlays in “Rainforest Images II.”
CHARLEMAGNE PALESTINE / Strumming Music: For Piano, Harpsichord and String Ensemble (Sub Rosa - merci à/thanks to Forced Exposure) On ne saurait résumer la carrière et l’œuvre de Charlemagne Palestine à son “strumming”, mais cette approche novatrice du piano (qui consiste à répéter inlassablement les même notes, en complexifiant graduellement les accords, afin de générer toujours plus d’harmoniques et d’atteindre un état de conscience altéré) compte pour beaucoup dans l’aura qui l’entoure. L’étiquette belge Sub Rosa propose un triple saut dans cette Strumming Music, à travers des enregistrements inédits des années 70. D’abord “Strumming Music” pour piano, interprétée par Palestine sur un Bösendorfer - splendide orgie d’harmoniques où se confondent ce que le pianiste joue et ce que le piano joue de lui-même. Ensuite, une version pour clavecin interprétée par Betsy Freeman - plus sèche, évidemment; très différente. Enfin, une version pour cordes enregistré en 1977 au Conservatoire de musique de San Francisco - encore là une refonte importante de l’œuvre, adaptée au quatuor à cordes. Chaque pièce est présentée sur son propre disque (même “Strumming for Strings” qui, à 24 minutes, aurait pu être ajoutée à l’un ou l’autre des deux premiers disques), pour préserver l’unicité de chacune. [Ci-dessous: Trois extraits de l’album à écouter.]
Strumming should not be used to sum up a career and body of work the size of Charlemagne Palestine’s. However, this innovative piano technique (consisting in repeating tireleslly the same notes while gradually adding intervals in order to generate ever more harmonics and reach an altered state of consciousness) accounts for much of this composer’s aura. Belgian label Sub Rosa proposes a three-fold immersion in Palestine’s Strumming Music through previously unavailable recordings from the 1970s. First up is “Strumming Music” for piano, performed by Palestine on a Bösendorfer - a splendid orgy of harmnics where you end unable to differenciate between what the pianist plays and what the piano plays on its own. Then comes a version for harpsichord performed by Betsy Freeman - drier, of course, and very different. Finally, another version of the piece for strings, recorded at the San Franscisco Music Conservatory in 1977 - again deeply rearranged and adapted. Each piece gets its own CD (even the 24-minute “Strumming for Strings” which could have easily been included on one of the first two CDs). This reinforces the singularity of each piece. [Below: Three sound clips from the album.]
Idée Manu est un quatuor dirigé par la pianiste-compositrice Manuela Keller. Water Chute offre un jazz actuel tout ce qu’il y a de plus suisse: réjouissant sans excès, méticuleux sans devenir pointilleux, créatif mais élégant - certains jugeraient le résultat froid, mais cette retenue me plaît lorsqu’elle est bien assumée, et c’est le cas ici. Le tromboniste Nick Gutersohn occupe beaucoup de place dans les arrangements (il semble y avoir beaucoup de trombonistes en Suisse). Jan Schlegel est à la basse électrique et Marco Käppeli tient la batterie, à mon grand plaisir. L’album propose un joyeux (oui, joyeux) amalgame de compositions originales de Keller et de reprises incongrues de Messiaen (deux extraits du “Quatuor pour la fin du temps”) et de Satie (deux “Sports et divertissements”). “Le Yachting” du dernier et la “Danse de la fureur” du premier constituent les moments forts de ce disque surprenant.
Idée Manu is a quartet led by pianist/composer Manuela Keller. Water Chute delivers typical Swiss avant-jazz: joyful but not too much, meticulous without getting ridiculous, creative though elegant - some would qualify the result as being cold, but I like this kind of restraint when it is well carried, and this is the case here. Trombonist Nick Gutersohn seems to be the key figure in the arrangements (trombonists seem to be a big thing in Switzerland jazz). Jan Schlegel is on electric bass, and Marco Käppeli handles the drums - I’m fond of that guy. The album features a cheerful (yes, cheerful) blend of Keller originals and unusuak covers from Messiaen (two movements from “Quartet for the End of Time”) and Satie (two of his “Sports et divertissements”). The latter’s “Le Yachting” and the former’s “Danse de la fureur” are the highlights on this surprising CD.
Sur ce disque mordant, le batteur-compositeur Marc Lohr est solidement encadré. Outre deux saxos, un trombone, une guitare et une basse, on trouve l’accordéoniste Camilla Barratt-Due qui fait office de facteur X, son instrument faisant régulièrement sortir la musique de ce qui aurait pu être la voie prévisible. L’écriture de Lohr est guillerette, un jazz actuel qui ne craint pas les dissonances et qui semble même puiser son inspiration en partie dans le Rock-in-Opposition ou King Crimson circa 1973-1974. Convaincant et enthousiasmant.
This CD has bite, and drummer/composer Marc Lohr is strongly supported by a cast of six: Two saxes, a trombone, a guitar, a bass, and Camilla Barratt-Due’s accordion - the X factor, as her instrument regularly pushes the music out of the predictable rut. Lohr’s writing is cheerful - avant-garde jazz unafraid of dissonances and potentially drawing some of its inspiration from Rock-in-Opposition or even King Crimson circa 1973-1974. Convincing. I’m won over.